En mémoire des Tsiganes
Cérémonie organisée en mémoire de l’internement des Tsiganes à Louviers
Samedi 17 mars, le maire de Louviers François-Xavier Priollaud, le président de l’Agglomération Seine-Eure Bernard Leroy et le sous-préfet de Bernay Philippe Laycuras, ont dévoilé la plaque en mémoire de l’internement des Tsiganes à Louviers.
Une cérémonie qui s’est déroulée route d’Elbeuf, sur le lieu où une centaine de nomades ont été internées au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Discours de François-Xavier Priollaud, maire de Louviers
Monsieur le Sous-préfet,
Monsieur le Président de l’Agglomération Seine-Eure,
Mesdames et Messieurs les élu(e)s,
Mesdames et Messieurs représentant les Autorités civiles et militaires,
Mesdames et Messieurs,
Léger, Sautier, Caillot, Lointier, Weiss, Chevalier, Henry : ces noms, probablement ne vous parlent pas. Ils ne vous parlent pas car pendant trop longtemps, leur histoire, notre Histoire, a été tue.
Qui se souvient qu’ici même, route d’Elbeuf, dans une carrière désaffectée, fut installé, entre le 22 novembre 1940 et le 7 mai 1941, le camp d’internement des Tsiganes du département de l’Eure. Aucune trace ne subsiste aujourd’hui de ce camp, excepté dans la mémoire des familles tsiganes qui y ont été internées et dont la plupart des descendants vivent encore aujourd’hui sur notre territoire.
Entre 1940 et 1946, plus de 6500 hommes, femmes et enfants furent internés en France dans une trentaine de camps pour le seul fait d’être considérés comme Tsiganes par les autorités allemandes et françaises.
Cette histoire appartient tout autant à celle des persécutions raciales mises en œuvre par l’Allemagne nazie qu’à celle de la répression du nomadisme menée par nombre de démocraties occidentales.
Le 8 mai 1940, le préfet de l’Eure Paul Chiraux fait procéder à un recensement des nomades avant de leur assigner une zone de séjour et de circulation définitive. En octobre 1940 de cette même année, les autorités allemandes ordonnent d’interner les nomades circulant en zone occupée. Dans notre département de l’Eure, 38 personnes (dont 23 enfants) sont arrêtées à Brionne puis dirigées vers Gaillon. Elles réussiront à s’échapper le 2 novembre, au grand dam de la Feldkommandantur.
C’est alors que le 6 novembre 1940, le nouveau préfet de l’Eure Camille Vernet prend la décision d’implanter à Louviers le camp d’internement des tsiganes du département. Pourquoi à Louviers ? Car Evreux n’est pas en état après les bombardements et que notre ville est très bien desservie par la route et le chemin de fer.
Le préfet de l’Eure avise le Maire de Louviers, Auguste Fromentin, par une simple lettre dont voici les termes : « J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que, par ordre du chef d’escadron commandant la compagnie de gendarmerie de l’Eure, un camp destiné à recevoir tous les nomades du département de l’Eure est créé à Louviers, carrière Plumet, route d’Elbeuf ». Fin de citation.
Mesdames et Messieurs,
Pendant 166 jours, et 166 nuits, 88 tsiganes seront internés dans le camp de Louviers. Tous étaient Français, ceux en âge en travailler avaient un emploi, mais ils étaient tsiganes. Parmi eux, beaucoup d’enfants et d’adolescents. Durant cet interminable hiver 1941, un hiver particulièrement rigoureux, une femme décédera dans le camp, et un bébé y naîtra. Les conditions de vie, ou plutôt de survie, sont effroyables. Pas même de baraquements, l’hébergement se fait sous tente ou dans les grottes de la carrière. Les internés sont cantonnés dans un espace entouré de barbelés, gardé par les gendarmes locaux.
En cet hiver 41, alors que le froid est particulièrement intense, les occupants du camp doivent aussi lutter contre la faim et face au manque de ravitaillement, les familles sont réduites à la mendicité. Le préfet est interpellé par le maire de Louviers et un interné, Joseph Waiss, prend sa plume pour informer le préfet de ce qui se passe dans le camp : « Je me permets de vous envoyer ces deux petits mots pour vous faire savoir ce qu’il se passe dans le camp de Louviers, les gendarmes nous ont forcé à vendre nos voitures en nous disant qu’ils allaient nous emmener dans un autre camp où il y a des abris. Voici un mois que nous couchons dehors avec nos petits-enfants. Monsieur le Préfet, nos petits-enfants sont presque tous malades de coucher dehors ».
À la fin du mois de janvier, la Feldkommandantur réquisitionne les hommes valides pour déblayer Louviers bombardée en juin 1940. Mais l’entreprise qui les emploie renâcle, dans ces termes ignobles : « La gendarmerie allemande m’a imposé sur mon chantier de déblaiement de la ville de Louviers 16 nomades au lieu de 12, ouvriers que je ne désire pas conserver pour les raisons suivantes : crainte de vols de matériaux sur le chantier (…) ; ces ouvriers ne sont pas qualifiés pour ce genre de travail ; ils n’ont aucun papier en règle ». L’entreprise obtiendra satisfaction quelques jours plus tard…
Mesdames et Messieurs,
Le camp d’internement de Louviers était un parmi de nombreux autre en France. Le 5 mars 1941 ouvre le camp de Jargeau, dans le Loiret. Ce nouveau camp avait une vocation régionale et même interrégionale. Le 7 mars, 7 internés de Louviers y sont transférés. Et le 7 mai 1941, les 67 Tsiganes encore internés à Louviers sont envoyés à Jargeau où les conditions de survie ne sont guère meilleures qu’à Louviers : malnutrition, conditions d’hygiène déplorables, mortalité très forte…
Jusqu’en 1945, 1200 Tsiganes seront internés à Jargeau. Et il faut attendre le 24 décembre 1945, soit plusieurs mois après la fin de la guerre, pour que les derniers Eurois soient libérés. La plupart des Tsiganes reprirent la route ; d’autres se sont sédentarisés.
Mesdames et Messieurs,
Le camp de Louviers était tombé dans l’oubli. Mais fort heureusement, un petit dossier, soigneusement conservé dans les archives de Louviers sous la cote 1 J 324 est venu nous rappeler à son existence.
La ville et l’agglomération ont souhaité engager un travail de mémoire à partir de ce dossier d’archive pour que l’existence de ce camp ne soit plus occultée de notre histoire locale. Ce travail de mémoire a été réalisé par le service des archives mutualisé de la ville de Louviers et de l’agglomération Seine-Eure. J’adresse mes remerciements à Vanina Gasly, responsable du service des archives qui a mené ce travail en lien avec Jean-Marc Leconte, directeur du centre social des gens du voyage à l’Agglomération. Je veux également associer à mes remerciements les élèves et les enseignants du Lycée Marc Bloch de Val-de-Reuil pour le remarquable projet pédagogique qu’ils ont conduit à partir de ce dossier d’archives. Il est essentiel que la jeunesse prenne toute sa part au devoir de mémoire.
Je veux enfin dire ce matin combien ce que nous faisons est important. C’est important d’abord pour connaître notre passé, le connaitre complètement, sans angle-morts. Car les tsiganes n’ont pas vocation à demeurer plus longtemps les oubliés de l’Histoire. C’est aussi important pour comprendre et remettre en perspective l’histoire d’une communauté souvent incomprise. Et j’y vois là un préalable pour envisager l’avenir dans la sérénité, la compréhension et le respect mutuels.
Nous allons dans un instant poser une stèle pour marquer l’emplacement du camp. Pour ne pas oublier, et pour conjuguer l’Histoire avec la mémoire.
Pour que jamais ne s’éteigne le feu des Tsiganes.
Je vous remercie